La fumée se dissipait autour de moi. J’étais allongée, nue dans le tipi, une chaleur moite me recouvrant totalement. Le vieux shaman aux longs cheveux couleur de ciel en colère m’observait et chantonnait en une langue ancienne, agitant au-dessus de mon visage, quelques-uns de ses grigris.
Odeur de nature enivrante, sensualité d’un rituel ancestral, les doigts du shaman se mirent à dessiner des formes sur ma peau. Je les sentis me brûler, puis mon esprit quitta le lieu pour s’élever, sur le dos d’un aigle.
Je voyageai spirituellement, sans douleur, sans angoisse, en communion avec le rapace. Ses yeux devinrent miens, ses ailes répondirent à mes moindres désirs. Un ciel bleu-orangé se dessinait au-dessus des pins verts d’une hauteur vertigineuse. Je pouvais voir leurs racines communiquer, entrelacées comme des doigts se cherchant, caressant des endroits sensibles, créant ainsi des lumières souterraines, mouvantes, que j’étais seule à voir.
Je décidai de prendre de la hauteur, de frôler les nuages, de goûter à la pluie, d’observer les étoiles depuis le monde astral. Un spectacle de lumières dansantes, bougeant dans une logique que je comprenais, maintenant. Tout était lié, tout avait du sens. Il fallait observer, écouter.
Je m’élevai encore sans ressentir le froid, et poussai un cri de rapace qui fit gémir de plaisir mon esprit.
En bas, dans le tipi, le shaman, assis en tailleur, une main en travers de ma poitrine, la tête renversée, suivait mon voyage en marmonnant de vieilles paroles.
Depuis les hauteurs, le paysage s’arrondissait, comme le ventre d’une femme enceinte. Au loin, le ciel avait une couleur qui me déplut. Une sorte de violet malsain. La maladie rongeait le Monde, et le nuage pestilentiel gagnait du terrain avec force.
Alors je redescendis en piqué, me transformai en louve, sans le vouloir, et courut jusqu’au tipi. Lorsque j’y pénétrai, le shaman redressa la tête et m’invita à entrer. Je vis mon corps nu sous sa main et avançai, avant de me recroqueviller sur mon ventre.
J’ouvris mes yeux humains et repris mon souffle. Le shaman retira délicatement sa main ridée de ma poitrine ferme et luisante de sueur.
Il fallait que les gens voient, sachent, pour agir. Et je ferai tout pour que cela se passe ainsi.
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