Je dormais paisiblement avec mon fils de cinq ans, un bras protecteur autour de lui. Plus tôt dans la nuit, il m’avait réveillée pour un cauchemar, qui, je l’avoue, m’avait un peu secouée à son récit.
Comme nous vivions au bord du lac Michigan, il avait imaginé qu’une créature sortait des profondeurs pour dévorer sa petite sœur Maria, entendant ses cris de douleur, déchirant son petit cœur. Il s’était rendormi en larmes.
Il devait être aux environs de quatre heures lorsque ma fille de dix-huit mois se mit à pleurer. Je me réveillai péniblement et quittai le lit comme un automate, pour rejoindre la chambre adjacente à la mienne. Pas de Maria dans le lit à barreaux. Avait-elle fugué ? Je fis le tour de la chambre, la cherchant partout. Pas de Maria. Debout au milieu de la pièce éclairée, je réfléchis, lorsque tout à coup, je réalisai que les pleurs étaient extérieurs à la maison.
Oh mon Dieu, mais comment avait-elle fait ?
Pieds nus, en chemise de nuit, je retrouvai mes jambes d’adolescente pour courir vers la porte d’entrée, pour me rendre compte qu’elle était grande ouverte. Les plus proches voisins étaient à plusieurs centaines de mètres.
Debout face à la nuit illuminée par une demi-lune, j’aperçus notre barque quitter le ponton, ma petite tête blonde à quatre pattes, au milieu, pleurant, le visage vers la maison, terrifiée.
Je me mis à sprinter comme si la mort elle-même me défiait à la course pour attraper ma fille en premier. Mes pieds glissaient sur le ponton légèrement moussu mais je tins bon, et plongeai sans réfléchir en arrivant au bout, pour rejoindre la barque quelques mètres plus loin, le plus vite possible.
La tête sous l’eau, je ne sentis pas le froid, et fis tout mon possible pour commencer à avancer vers mon enfant, mais quelque chose de visqueux me frôla les jambes, et refit surface en même temps que moi. Une forme marine, mouvante, couleur de nuit sans lune, m’observa un instant de ses yeux globuleux parcourus de veines bleutées. L’une de ses pattes sortit de l’eau en m’éclaboussant largement, membre griffu s’étirant en grinçant sur de longs mètres pour chercher à attirer la barque vers elle.
Maria hurla de plus belle et la mère en moi étouffa la femme, la fillette qu’elle fut, ainsi que la terreur du moment. Tandis que la créature grondait pour me couler dans sa terreur, je poussai le hurlement le plus terrible, le plus aigu, cassé, fort, que je le pus. Un cri d’instinct, de tripes étranglées.
Stupéfaite, la créature se figea gueule ouverte, et son membre tentaculaire se rétracta. Aussitôt, elle se mit à couler, statue à l’assaut, attaquée en pleine âme. Mon esprit de mère protectrice avait brisé le sien, bête ténébreuse malfaisante.
Je me retournai rapidement vers Maria et nageai sans tenir compte des douleurs musculaires, tant je donnais de mon être. Ma fille pleurait toujours, des larmes inondant ses petites joues rondelettes. Alors je montai dans la barque, faisant attention à ne pas trop la brusquer. Maria fut bousculée mais tint bon, ses petits doigts comme accrochés dans le bois. Trempée jusqu’aux os, je la pris contre moi, et ses bras secs enserrèrent mon cou dans une étreinte d’amour inconditionnel et de soulagement intense. Plus loin dans l’eau, là où j’avais émergé avec la créature, quelques fines bulles remontaient pendant la chute de l’insensible chose.
Maria assise sur moi, je nous ramenai vers le ponton et rattachai la barque.
*** *** *** Le lendemain matin, un soleil d’or se levait au-dessus du lac, et je préparai le petit-déjeuner, fenêtre ouverte sur mes enfants, deux innocents qui jouaient ensemble sur une couverture que j’avais étalée pour eux.
Au fond de moi, l’esprit de la créature se débattait, et je me gaussais intérieurement de son échec face à moi. J’entendis ses couinements étouffer dans ma volonté, puis se taire, recroquevillé.
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