Enterrée jusqu’au cou, mon visage n’était plus que larmes. Mes cheveux gras me grattaient et je ne pouvais rien y faire. J’allais mourir ici, pas plus digne qu’une canette de bière ou qu’une chaussure abandonnée. Avant, je me demandais pourquoi on retrouvait parfois une chaussure sur le bord de la route. Qu’est-ce qui avait pu mener à ça ?
En tout cas, pour le moment, je pleurais sur mon sort. Mon petit ami était jaloux, possessif et violent. Et ce soir, au barbecue de bienvenue des voisins, l’un d’entre eux m’a parlé, m’a fait rire comme je n’avais pas ri depuis longtemps… Et c’est tout. Voilà pourquoi mon arcade sourcilière est éclatée, et que je meurs ce soir.
Il est parti il n’y a pas cinq minutes, et pourtant j’ai l’impression d’avoir déjà vécu un enfer éternel.
Je respire mal, j’ai mal, je n’en peux plus. La soif commencera bientôt à me tirailler, et pour le moment, je vois flou. Trop de larmes sur ma fin. Si mes parents savaient… Ils seraient déjà en route pour enfoncer les dessins de leurs pneus sur son visage arrogant.
J’aurais voulu avoir une seconde chance, choisir mieux, être plus intelligente, plus vigilante, moins insouciante.
*** *** ***
Des bruits de pas dans la terre et le ciment craquelé. J’étais terrifiée. Venait-il me sortir de là en me tirant par les cheveux ? Ou m’achever à coups de pelle ? Je ne savais plus si je préférais mourir que de vivre avec lui de nouveau.
Il m’était devenu difficile de tourner la tête. Mes pleurs redoublèrent, la peur, non, la terreur… et les pas prirent la vitesse supérieure, pour s’arrêter près de moi. Boots inconnues, jean inconnu, ceinture… déjà vue, mais où ?
Je n’eus pas le temps de deviner, que l’homme s’accroupit près de moi et caressa mon visage. C’était le voisin qui avait causé sans le savoir toute cette horreur, ce déferlement de violence. Parce qu’avant de m’enterrer, j’avais eu droit aux coups de pied quotidiens. Avec douceur, il dégagea la terre de mon cou, se transforma en un bref instant, en un ours sur quatre larges pattes, devant moi…
Je devais halluciner, ou déjà être morte. Ou alors, je n’étais jamais sortie de l’hôpital psychiatrique dans lequel j’avais fait un séjour d’une semaine il y avait tant d’années…
L’ours gratta, une force sauvage, vive, et je lus la compassion dans ses yeux. Je m’étais trompée. Il savait ce qui s’était passé. A chaque mouvement, j’avais peur d’un coup de griffes fatal. Je fermai les yeux et attendis sans bouger, second éternel enfer. Satan, je suis prête. Si je devais un jour finir chez toi, tu aurais du mal à t’amuser avec ma peur.
Bruits de terre, souffles d’ours, cailloux qui roulent. Mes épaules se dégagent, puis ma poitrine, et je peux enfin prendre une pleine inspiration. Libération ! Ma robe fleurie serait désormais pour moi celle de mon enterrement, de la fin de Méline, soumise.
L’ours me dégagea complètement de mon tombeau, et sans réfléchir, je me jetai sur son dos pour lui offrir tout mon amour et ma reconnaissance, la tête nichée dans des poils qui sentaient la sueur humaine. La forme animale changea sous moi, mais je ne bougeai pas, trop secouée.
Puis il ne resta qu’un homme nu, sali de terre, et une femme nouvelle, allongés l’un contre l’autre, reprenant leur souffle, se reposant un instant. Je souris, les yeux fermés, tandis qu’une dernière larme clôturait cette partie de ma vie.
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